Les cheveux ne sont pas seulement un organe protecteur, appelé phanère. Dans nos sociétés, ils occupent une place bien particulière. Ils sont un objet d'admiration, un moyen d'expression, mais aussi une source de jugements, de discriminations et de difficultés sociales ou psychologiques. Les cheveux peuvent devenir un enjeu crucial, parfois lourd à porter pour certaines personnes. Nous allons explorer les enjeux systémiques, psychologiques... tout simplement l'impact de l'histoire et du regard des autres sur la vie de nos cheveux.
1. Les complexes et l'impact psychologique dès l’adolescence
Prenons l’exemple de ma cliente Julia. Julia est une jeune adolescente qui a honte de ses cheveux gras malgré un lavage quotidien. Elle m'a raconté qu'une camarade s’est moquée d’elle en cours de sport en lui lançant : « Tu ne te laves jamais les cheveux ? » et à quel point ça l'avait blessée. Elle passe un temps fou à laver ses cheveux et essayer tous les produits et shampoings possibles et rien n'y fait. Le fait qu'on remarque ses cheveux gras qui sont un vrai complexe pour elle tombe pile là où ça fait mal. Ces moqueries la blessent profondément et affectent son estime de soi.
Ce type d'expérience illustre comment, dès le plus jeune âge, les cheveux deviennent une source de stress et de jugement, souvent amplifiés par les attentes sociales.
2. Le syndrome des cheveux incoiffables
Il existe une maladie rare appelée syndrome des cheveux incoiffables, ou « pili trianguli et canaliculi ». Ce syndrome débute généralement pendant l’enfance et se caractérise par des cheveux secs, désordonnés, et de texture particulière, souvent blonds argentés ou couleur paille. Les cheveux poussent dans toutes les directions, et il est impossible de les coiffer.
Cette pathologie rare peut isoler les personnes qui en sont atteintes, en particulier les enfants, car leur différence est souvent mal comprise ou moquée.
3. Cheveux et racisme : un enjeu historique et social
Les cheveux texturés, crépus ou frisés, sont au cœur de nombreuses discriminations. Dans ses essais féministes, Chimamanda Ngozi Adichie dénonce le temps qu’elle passait, enfant, à dompter ses cheveux. Selon elle, ces heures auraient pu être consacrées à apprendre, lire ou créer.
Quelques chiffres édifiants :
2/3 des femmes afrodescendantes changent de coiffure avant un entretien d’embauche
81 % des enfants afro-américains souhaitent des cheveux lisses.
95 % des femmes afrodescendantes ont utilisé des produits de défrisage au moins une fois dans leur vie.
Simone Biles est devenue la gymnaste la plus titrée de l’histoire des États-Unis. Pourtant, sur les réseaux sociaux, les internautes ont préféré critiquer ses cheveux et sa coiffure pendant les épreuves. Elle a répondu “La prochaine fois que vous voulez commenter les cheveux d’une fille noire, ne le faites juste pas !”
Depuis la colonisation on associe les cheveux crépus à des cheveux laids. Cette perception résulte directement du colonialisme, de la domination blanche. Les esclaves noirs domestiques devaient lisser leurs cheveux pour correspondre au modèle dominant.
Depuis 2000 est apparu le mouvement nappy. En anglais nappy signifie crépus. En France les nappies se sont approprié ce mot et en ont fait la contraction des mots natural and happy. Apparu aux USA au début des années 2000 c'est un mouvement initié par les femmes noires souhaitant conserver leurs cheveux crépus. Ce mouvement célèbre les cheveux naturels. Dans le domaine de la coiffure, ce n’est que depuis 2023 que l’état propose enfin une certification pour coiffer les cheveux texturés (frisés ou crépus).
l'UNESCO a classé le défrisage parmi les séquelles psychologiques de la traite négrière.
4. Cheveux et âgisme : la stigmatisation des cheveux blancs
Les cheveux blancs sont souvent associés à la vieillesse, bien que leur apparition soit davantage liée à des facteurs génétiques. En 2022, Zazie et Andy McDowell ont été critiquées pour leur choix de garder leurs cheveux blancs, un acte perçu comme une rébellion contre les normes sociales. D'ailleurs que penser du terme «assumer » ses cheveux blancs ? Il y a une connotation que je n'aime pas dans ce mot assumer, quand tu as les cheveux blanc tu n'y peux rien, et faire le choix de ne pas répondre aux injonctions de les modifier chimiquement est-il quelque chose que tu dois « supporter », « endosser », « prendre en charge » voire « être responsable » ? C'est ce que signifie le terme assumer. Est-ce qu'on assume ses cheveux blancs ou est-ce que simplement on a les cheveux blancs...
Un autre témoignage : « J'ai eu mon premier cheveu blanc à 17 ans, à 20 ans ma mère qui passait derrière moi m'a soudain arraché un cheveu blanc sans me demander. Ce geste m'avait choquée, je l'aimais ce cheveux moi, je ne voulais pas l'arracher ! »
Certaines institutions renforcent cette stigmatisation. Par exemple, Air India interdit depuis 2022 à son personnel de cabine d’avoir des cheveux blancs visibles.
5. Cheveux et cancer : un combat supplémentaire
Les personnes atteintes de cancer perdent souvent leurs cheveux à cause de la chimiothérapie. Cette perte, particulièrement difficile pour les femmes, les pousse souvent à porter des perruques pour éviter les regards insistants ou gênants. Les cheveux, symboles de féminité pour beaucoup, deviennent une autre bataille dans un parcours déjà éprouvant.
6. Discrimination capillaire au travail
En 2023, le député Olivier Serva a proposé une loi pour reconnaître et sanctionner la discrimination capillaire au travail.
7. Les normes genrées et la taxe rose
Dans une interview récente, l’écrivaine Élisabeth Gilbert raconte que lors d’un séminaire, elle a soudain pris conscience que toutes les femmes dans la salle portaient un carré blond, tandis que les hommes affichaient des cheveux très courts ou rasés, avec désinvolture et légèreté. Elle-même avait ce même carré blond qui nécessitait de passer énormément de temps chez le coiffeur ou pour les entretenir à la maison. C’est là qu’elle a décidé de se libérer des injonction et de se raser la tête. Depuis elle est pleinement satisfaite du temps gagné et de la liberté retrouvée, ainsi que du fait de ne plus avoir à se soucier de l’aspect de ses cheveux. Terminé d’y consacrer tant de temps et d’argent !
Un autre aspect est le coût : le prix d'une coupe chez le coiffeur pour une femme est largement supérieur au prix d'une coupe pour homme y compris sur cheveux courts. De même le prix des produits pour entretenir les cheveux des femmes est beaucoup plus cher que celui des produits pour hommes. C’est ce qu’on appelle la taxe rose. Cette différence de prix illustre une discrimination économique basée sur le genre.
8. Risques psychologiques et de santé
Certaines pathologies liées aux cheveux peuvent avoir de lourdes conséquences :
Dysmorphophobie : c'est lorsqu'une personne souffre d'obsession pour une partie de son apparence ou de son corps. On peut souffrir d'une dysmorphophobie liée à l’apparence de ses cheveux. Je parle de la dysmorphophobie dans mon article sur la grossophobie si vous voulez en savoir plus.
Alopécie : perte partielle ou totale des cheveux, souvent mal vécue. Cette perte peut être génétique ou résulter d'un excès d'utilisation de certains produits. L'alopécie peut aussi être provoquée par le stress ou certains états psychologiques. Inversement, l'alopécie peut aussi engendrer des difficultés psychologiques.
Trichotillomanie : trouble compulsif consistant à s’arracher les cheveux.
Addiction : Il existe un véritable risque d'addiction aux teintures et au défrisage.
Les produits chimiques, tels que les teintures et défrisants, présentent également des dangers :
-brûlures de la peau
-cheveux brûlés ou abîmés
-alopécie
-puberté précoce
-30 % de risques supplémentaires d'avoir un cancer du sein
-2,5 fois plus de risques d'avoir un cancer de l'utérus.
9. Les femmes et les injonctions sociales
Dans les années 1920, de nombreuses femmes ont adopté la coupe garçonne, ce qui provoqua des scandales. Des hommes ont même alors annoncé que c'était la fin de la civilisation. En 2021 L'influenceuse Léna Situation a été harcelée pour avoir coupé ses cheveux. Michelle Obama lissait ses cheveux pour ne pas nuire à la carrière de son mari. Ce n'est qu'à la fin de son mandat qu'elle a commencé à porter ses cheveux de manière plus naturelle.
10. Les discriminations contre les personnes rousses
Les cheveux roux, associés à la sorcellerie au Moyen Âge, ont longtemps été une source de moqueries et de discrimination. Aujourd’hui encore, les personnes rousses font face à des stéréotypes tenaces.
11. Mes recommandations culturelles :
Je vous recommande le roman graphique « Racines » de Lou Lubie qui, à travers l’histoire de Rose, jeune fille créole aux cheveux kogné, propose une étude fouillée de l’histoire des cheveux, du rapport de la société aux cheveux. Cette BD est extrêmement complète, touchante, pleine d’humour et édifiante. A lire absolument pour mieux comprendre tous les enjeux systémiques et personnels liés à l’apparence des cheveux.
À lire également : « Chère Ijeawele » et « Nous sommes tous des féministes » de Chimamanda Ngozi Adichie.
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